Le Pic de Bure par la face Sud-Est
En plein creux de la vague caniculaire de fin août (23-25 aout), je propose un mini camp en Dévoluy sud, en bivouaquant aux Sauvas, pour prendre un peu de fraîcheur et de profiter des derniers grands beaux jours de l’été. Seule Monique est disponible. Finalement cela m’arrange, car je vais pouvoir faire des sorties plus engagées, que je n’aurais pas pu faire avec un groupe.
Je mets ainsi en priorité une course qui pour moi est très particulière parce qu’elle me ramène 50 ans en arrière. En effet, je compte faire la face sud-est du Pic de Bure par une voie Sombardier qui lui-même la décrit comme étant la plus engagée du Dévoluy. Course particulière pour moi, car, il y a 50 ans, j’avais gravi le pilier du pic de Bure, course ouverte en 3 jours par René Desmaison en 1961 et longtemps considérée comme la plus difficile escalade calcaire des Alpes. Qui plus est, nous allions commencer la première longueur lorsque René Desmaison en personne est arrivé avec un client et nous avons pu bavarder quelques instants. Cette course est aussi particulière pour moi, car j’ai décidé de passer par la grotte du pic La Pare, grotte appartenant au complexe dit de l’Empire dont j’ai contribué à l’exploration à peu près à la même époque, dans les années 1972 et 73. C’est donc une course doublement symbolique que nous nous apprêtons à faire.
Étant donné la canicule, il faisait 41 degrés à Grenoble la veille, et que la voie est Sud-Est, nous décidons de partir très tôt et de démarrer la marche d’approche à la frontale. Il faut dire que la marche d’approche est très longue (9 km), elle commence par une montée raide au col de Matachare puis par une très longue traversée permettant de contourner le massif pour aller au pied du pic de Bure. C’est vers 7 heures, au col de Conode, que nous trouvons le soleil, en arrivant assez près du Pic de Bure. La marche se termine par un très bel alpage avec des vaches et où sort la fontaine de Bure. À partir de là, nous montons sur ce qui est appelé l’œuf (une prairie en herbe au milieu des pierriers) qu’il nous faut traverser pour rejoindre le pied d’une rampe de gradins en herbe assez raides.
Nous gardons les bâtons pour monter dans ces gradins en louvoyant au mieux. La rampe se redresse, nous ne gardons qu’un bâton pour l’aval pour prendre appui dans l’herbe et une main pour se tenir aux rochers, car la pente est vraiment très raide. Nous arrivons au sommet de cette rampe qui bute sur une petite falaise, là, nous contournons par la droite pour rencontrer une prairie en herbe grasse, raide, mais facile et confortable. Nous montons d’abord droit puis nous tirons complètement à droite pour remonter ensuite ces pentes herbeuses assez commodes jusqu’au sommet qui est un petit col en herbe confortable.
De là, je suis dans l’expectative. Pour la première fois, je ne comprends pas le topo de Sombardier. Il parle d’un premier couloir puis d’un deuxième, mais je n’en vois qu’un seul. Je suppose que je suis monté un peu trop haut sur les pentes herbeuses. Du petit col herbeux, nous traversons à droite pour rejoindre le couloir qui s’avère agréable dans un beau rocher sans herbe très raide, mais assez facile à grimper. Nous contournons un passage plus raide par la gauche, mais nous revenons dans le même couloir que nous remontons jusqu’au sommet, en II et IIIa soutenu.
Au sommet de ce couloir, la barre de falaise est impressionnante. Nous nous échappons à droite jusqu’à une petite arête puis nous traversons plus ou moins horizontalement un cirque (délicat) pour rejoindre une deuxième arête au niveau d’un petit col. De ce col, nous continuons à voir des gradins herbeux au-dessus de nous. Nous montons au jugé d’abord tout droit puis un peu à droite jusqu’à rencontrer la diagonale de sortie.
Nous voilà sur le plateau, tout près du sommet, heureux d’être sorti de cette gigantesque face. Nous continuons tranquillement au sommet pour nous reposer et admirer le paysage. À 2709m il fait une chaleur étonnante, nous sommes obligés de nous mettre à l’ombre. Un garde vient nous contrôler ou plutôt nous compter. Après un repos, nous allons voir, par-dessus, à quoi ressemble notre voie. Vue du haut, elle est effrayante, il semble impensable de passer par là. Si on avait d’abord vu la voie depuis le haut, on ne l’aurait peut-être pas tentée.
Nous attaquons la descente que j’ai prévue de faire par le pied des falaises, la grotte gelée et le pré La Pare. Itinéraire un peu délicat à la descente, car il faut trouver les passages dans les barres, ce qui est plus difficile en descente qu’en montée. Il faut dire que j’ai beaucoup circulé dans ses barres, mais c’était il y a 50 ans et mes souvenirs sont flous. Nous trouvons tout de même facilement la rampe qui ramène au pied des falaises et de là, un sentier de chamois nous amène au pied des falaises du pic La Pare.
Nous longeons consciencieusement le pied des falaises du pic La Pare, je crois reconnaître au-dessus de nous l’emplacement du chourun Napoléon, une vire 10m sous le plateau de Bure où nous avions bivouaqué trois fois de suite une semaine lors de l’exploration du réseau de l’empire, en 1972 et 73.
Inexplicablement, je ne trouve pas la grotte La Pare alors que nous sommes nécessairement passés devant. Je suis surpris, déçu, et un peu honteux d’avoir raté cette grotte. Mais nous sommes suffisamment fatigués pour ne pas remonter dans les pierriers à sa recherche. Nous descendons au beau près La Pare pour faire une sieste à l’ombre d’un gros rocher. De là, nous descendons au jugé, et à la mémoire, l’arête qui borde, par des falaises infranchissables, la combe d’Aurouse et le GR. Nous trouvons le bon passage qui permet, par une longue diagonale à droite, de revenir dans la combe d’Aurouse et de retrouver le GR au niveau de la belle fontaine du vallon. Là, nous faisons le plein d’eau, un petit repos et nous terminons par la longue descente qui nous ramène aux Sauvas.
En résumé, je ne dirai pas que c’est une belle course, l’essentiel se faisant dans des gradins herbeux en rocher contestable. Par contre, j’ai retrouvé l’ambiance et l’intensité des grandes courses de haute montagne avec un départ de nuit à la frontale, une longue marche d’approche, une gigantesque face dans laquelle le plus important n’est pas la technique, mais c’est de ne pas se perdre et de rester dans la voie, toute erreur d’itinéraire étant problématique. Les 650m de dénivelé de cette voie exigent une tension et une attention de tous les instants : nous ne sommes pas assurés, il n’y a pas moyen de s’assurer, le rocher n’est pas sûr et toute chute est fatale. Rester concentré durant toute la course et trouver son itinéraire est le challenge de cette course. Du côté positif, il y a une ambiance extraordinaire, celle des grandes courses de haute montagne.
Dénivelé 1500 m environ, dont 650m dans la voie.
Distance 18 km. Dont la moitié en escalade ou hors sentier.
Participants : Monique et Jacky